vendredi 3 août 2007

La Petite Seigneur

Il y a des années, après la mort de ma troisième grand-mère, aka Hug aka La Petite Seigneur, j'avais fait un rêve étrange.

Dans ce rêve je savais qu'elle était morte et pourtant elle s'était présentée devant moi, dans une version altérée. Elle était racrapotée, rabougrie, tassée ; son regard avait quelque chose de sournois et sa voix, plus éraillée, disait des choses qui ne lui ressemblaient pas.
Elle voulait que je convainque ma mère de la suivre, en usant de subterfuges, de manipulations. C'était assez glauque. Et puis ça ne lui ressemblait absolument pas, que de ne pas parler franchement, que d'utiliser quelqu'un pour arriver à des fins obscures, qui plus est un enfant.

Ce rêve avait été assez long et n'avais mené nulle part plus ou moins, et m'avait fait une drôle d'impression.



Et puis, quelques mois plus tard j'avais fait cet autre rêve. Très lumineux et très serein. Nous étions en hauteur, dans un endroit que j'ignore. Hug était face à moi, rayonnante, simple et bonne comme de son vivant. Derrière elle, je voyais assez loin en-dessous une forêt de saules à perte de vue. Encore une fois, la lumière était très belle.
Hug me demandait de mes nouvelles, comment allaient flam et la troupe (mes amis imaginaires), se réjouissait qu'on soit ensemble et me disait de bonnes choses pour chacun.
Après un certain temps, je lui demandai de m'expliquer le rêve précédent. Qu'est-ce que c'était que cette histoire, et pourquoi elle était revenue alors. Et elle avait ri et m'avait assuré qu'elle n'était jamais encore revenue.
Je savais alors que dans le rêve précédent, ce n'était pas elle.
Et je gardai l'impression que dans ce rêve simple, lumineux, c'était bien elle.


La nuit dernière j'ai encore rêvé d'elle. Ce n'était qu'un rêve, même moi je n'en doute pas. Le contexte était celui d'un rêve. Rien n'était comme aujourd'hui.
Ma soeur et moi étions dans un hôtel, la nuit, dans des chambres séparées. Nous fuyions, quoi ? je l'ignore. Et après un concours de circonstances qui m'échappe, j'ai su que je pouvais appeler Hug, malgré qu'elle fût morte. Si je composais son numéro, elle répondrait.
Le combiné du téléphone en main, j'ai soudain peur de ne pas me souvenir de son numéro - que je n'oublierai cependant jamais. Je compose les six chiffres mais ça ne marche pas.
Bien sûr ! Je n'ai pas fait le préfixe.
Alors je recommence. 0...1...0...2...2...7...1...1...3. C'est la nuit mais je sais qu'elle ne m'en voudra pas de la réveiller si elle dort.

Quelques sonneries, puis elle décroche. Aimablement, elle m'explique qu'elle ne peut pas sortir parce qu'elle n'a plus de chaussures, qu'elle doit aller au GB ce soir pour les faire réparer ou en acheter d'autres. Elle me donne un autre nom -- elle ne m'a pas reconnu -- puis, une fois le malentendu dissipé, elle ne réagit pas beaucoup, n'est pas étonnée de toutes ces années sans avoir eu de mes nouvelles, et je lui dis de ne pas s'inquiéter, qu'on viendrait la chercher avec la honda pour régler cette histoire de chaussures.


J'ai été bouleversé, non pas par ce rêve, mais par le souvenir de cette femme, qui portait seule ses problèmes et ceux des autres, et qui parfois s'arrêtait et me disait "tu es un don de la providence. Tu as bien raison, il ne faut pas s'inquiéter. Va chercher les petites voitures mon chéri, on va jouer !"
Et avec le recul, je me dis avec beaucoup d'envie et de regrets, que cette femme que j'ai eue au téléphone dans mon rêve, infiniment vieille, fatiguée -- cependant joyeuse, cette femme aurait pu être la Petite Seigneur, si elle avait vécu. Elle aurait aujourd'hui environ 107 ans. Et peut-ete aurait-elle, à cet âge vénérable, parlé d'elle et de ses soucis. "Je n'ai plus de souliers, je dois y aller" et peut-être nous, aurions pu prendre soin d'elle comme elle a pris soin de nous, "on va venir avec la honda".

Pourquoi la honda et pas la lada, d'ailleurs ?
Ses prières exaucées, le propriétaire de la honda aurait pu alors, comme aujourd'hui, prendre soin des siens.
Je ne sais plus.

Je parle pour parler, pour ne pas laisser s'échapper ce fil qui me relie à ce rêve, qui me relie par un autre fil à cet autre rêve.

Point barre.

1 commentaire:

prin-prin a dit…

oh... j'avais oublié qu'on l'appelait La petite Seigneur :-) comment ai-je pu oublier ça; d'ailleurs ?
Parce qu'elle est là tout le temps et que ce n'est pas grave de ne pas le savoir ? Oui, parce qu'elle est là tout le temps et que c'est une bénédiction de le savoir !

Bizatoulézenfandelapetiteseigneur !